Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/65

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à Jallanges, près de toi. Dîné au boulevard, tout seul, mélancoliquement ; fini ma soirée aux Français, où l’on jouait Le Dernier Frontin de Desminières. Un de mes juges pour le prix Boisseau, ce Desminières ; aussi ne dirai-je qu’à toi combien ses vers m’ont ennuyé. La chaleur, le gaz, j’avais le sang à la tête. Tous ces comédiens jouaient comme pour le grand roi ; et pendant qu’ils dévidaient les alexandrins pareils aux bandelettes d’une momie qu’on démaillote, l’odeur des épines de Jallanges me poursuivait encore, et je me récitais les jolis vers de Du Bellay, presque un pays :

Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,
Plus mon Loire Gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin
Et plus que l’air marin la douceur angevine.|

Mardi. Courses dans Paris tout le matin, stations devant les libraires, cherchant mon livre aux vitrines. La Faunesse… La Faunesse… On ne voyait que ça partout, bandé de l’annonce « vient de paraître, » puis, de loin en loin, un pauvre Dieu dans la Nature, piteux, enfoui. Quand on ne me regardait pas, je le mettais sur la pile, bien en vue, mais personne ne s’arrêtait. Si, boulevard des Italiens, un nègre, très bien, l’air intelligent… Il a feuilleté mon bouquin cinq