Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/138

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leurs passeports, au moment où ils partaient pour l’exil, il se trompait ; à moins que, touché par les larmes de la marquise de Canchy, il n’eût imaginé ce stratagème, avec l’espoir de sauver le mari et le frère de cette infortunée.

N’est-il pas d’ailleurs bien invraisemblable que Fouché eût frappé d’une peine quelconque, même simulée, les agents qui l’avaient servi ? Les frapper, n’était-ce pas avouer qu’ils avaient démérité ? D’ailleurs, dans quel but les eût-il frappés ? Pour s’assurer leur silence ? Mais, en les éloignant de lui, et en les envoyant à Londres, alors rempli d’émigrés, il les eût par trop exposés à la tentation de raconter autour d’eux les bizarres circonstances de l’événement auquel ils avaient participé. Et s’ils n’avaient pas parlé à ce moment, n’auraient-ils pas parlé plus tard ? L’intérêt de Fouché, à supposer qu’il les eût employés à une besogne aussi louche qu’inutile, lui commandait de les garder sous sa main et de mesurer sa faveur à leur discrétion.

Tout autre est la réalité. Il n’est que trop certain qu’à cette époque, les chouans, amnistiés ou non, ne voulaient pas se résoudre à considérer la partie comme perdue et leur défaite comme irréparable. Après le 18 Brumaire, ils se flattèrent de l’espoir que Bonaparte allait rappeler Louis XVIII. Leur soumission au commencement de 1800 leur fut dictée tout autant par cette espérance que par le sentiment de leur impuissance. Quand ils eurent acquis la certitude qu’ils s’étaient trompés, que Bonaparte ne travaillait qu’à consolider et agrandir son pouvoir dictatorial, exaspérés par la mort de Frotté, encouragés par l’attitude de Georges, ils rêvèrent de reprendre les armes. Les ressources leur manquant, ils entreprirent de s’en procurer à tout prix. Chacun d’eux apporta dans l’entreprise ses aptitudes et son tempérament,