Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/204

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qu’il se présentât, il était sûr d’être reçu. Mais, loin de profiter des nombreuses retraites qui lui étaient offertes, il s’en tenait à quatre ou cinq, passant de l’une à l’autre aussi souvent qu’il se croyait menacé.

En arrivant dans le pays, il s’était d’abord réfugié chez la marquise de Vaubadon, aux environs de Bayeux. Élisabeth-Charlotte-Alexandrine du Mesnildot, petite-fille de l’amiral de Tourville, épouse divorcée du marquis Le Tellier de Vaubadon, propriétaire normand, était une exquise blonde de trente-six ans, connue pour ses principes royalistes. Arrêtée au lendemain de la conspiration de Georges, elle les avait expiés par plusieurs mois de détention. Sa participation dans le complot n’ayant pu être établie, on l’avait remise en liberté en même temps que son amie, la comtesse de Cheverny, arrêtée avec elle.

On pouvait la croire alors corrigée de ses erreurs. Mais elle était de ces femmes à la fois frivoles et entêtées chez qui l’amour de l’intrigue survit à toutes les épreuves, et que même l’expérience qui vient, dit-on, avec l’âge ne corrige pas. À peine libre, elle s’était jetée de nouveau dans les aventures de la politique en les agrémentant de quelques passe-temps moins sévères, bien qu’elle eût un fils qui venait de s’engager dans les dragons. On lui savait des amants, on les désignait[1]. Toutefois, le monde au milieu duquel elle vivait fermait les yeux sur ses fredaines. Son dévouement à la bonne cause méritait bien quelque indulgence.

Le vicomte d’Aché, quoique marié, père de famille et déjà quinquagénaire, ne put rester insensible à ses

  1. L’un d’eux lui écrivait : « On dit que lorsqu’on vous a vue c’est comme si l’on avait pris un poison lent qui conduit au trépas. Votre taille est celle de Calypso, votre figure celle de Phryné ou de Vénus et votre esprit celui de Melpomène ou de Thalie. »