Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/63

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et sous le poignard des assassins, il songeait à passer en Angleterre. Il faisait part à plusieurs de ses complices des motifs qui légitimaient ses craintes. Il se plaignait de certains prêtres qui l’avaient dénoncé à Bernadotte, et, tout en annonçant qu’il ferait exécuter « ponctuellement » les dénonciateurs afin d’arrêter leur audace, il observait que les bleus, pour l’effrayer, en grossissaient le nombre.

Ce qu’il y a de plus curieux en cette affaire, c’est que les renseignements sur lesquels se fondaient ses raisons lui venaient directement de la préfecture de Rennes. Le préfet d’Ille-et-Vilaine, M. Borie, avait pour confident un avocat nommé Rébillard, ancien comédien, lié lui-même avec le chouan Charles d’Hozier, jadis page de Louis XVI, fils du dernier juge d’armes de France, et qui fut saisi et jugé en 1804 comme complice de Georges. Avec l’assentiment du préfet, à moins que ce ne fût à son insu, Rébillard communiquait à d’Hozier, qui habitait Rennes, tout ce qui pouvait intéresser les insurgés de Bretagne. C’est ainsi que Georges, alors qu’il n’eût pas été prévenu par Saint-Régent contre Duchatellier, aurait été mis au courant des intentions de ce dernier. En tous cas, il les connaissait, sa correspondance en fait foi. « Si M. Duchatellier tombait sous la patte de vos gars, écrivait-il à l’abbé Guillevic, faites-le garder jusqu’à nouvel ordre. »

L’agent de Fouché était bien loin de se douter des graves accusations qui pesaient sur lui. Quoique n’ayant pu arriver encore jusqu’à Georges, il avait envoyé secrètement plusieurs lettres à Paris. Pour mieux masquer sa trahison, il jouait auprès des chouans la comédie du dévouement le plus infatigable, poussant l’imprudence jusqu’à prétendre qu’un des aides de camp du général Simon n’attendait qu’un signe pour embrasser à son instigation le parti du Roi. Cette circonstance