Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/82

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Ce qui n’est pas moins surprenant, c’est qu’ils aient pu, en même temps, à l’aide de leur linge, de leurs draps de lit, de leurs couvertures et même de leurs rideaux préparer une corde de cent pieds de long. Tel fut cependant leur ouvrage. Après douze mois d’un labeur acharné, ils se considérèrent enfin comme en état de jouer la partie en vue de laquelle depuis si longtemps et au prix d’efforts surhumains, ils se préparaient. On était alors en plein été de l’année 1802. Ils fixèrent au 16 août la date de leur fuite.

Ce soir-là, vers dix heures, ils organisèrent comme d’habitude leur partie de trictrac. Mais Suzannet jouait seul. Pour tromper les gardiens qui couchaient devant la porte des casemates et leur faire croire qu’il discutait avec d’Andigné, il parlait à haute voix. Pendant ce temps, ce dernier retirait les barreaux sciés, éteignait les lumières après avoir brûlé les correspondances reçues du dehors depuis le début de leur captivité et attachait à un barreau non scié la corde qui devait soutenir leur marche. À onze heures, après avoir mis en évidence l’argent nécessaire à l’acquit des dettes qu’ils avaient contractées en prison, ils sortirent par la fenêtre et, tenant la corde, ils se lancèrent dans le vide.

Terrible fut leur descente. Quand on mesure de l’œil les pentes qu’ils parcoururent, on ne parvient pas à comprendre comment ils ne s’y brisèrent pas les os. À deux reprises, la corde, trop courte, manqua sous leur main. Leur marche devint une chute vertigineuse. Une première fois, ils purent tirer la corde à eux, l’attacher à un arbuste et s’en servir de nouveau. Mais, la seconde fois, il leur fut impossible de la dégager, alors qu’ils ne pouvaient aller plus loin sans ce secours. Accrochés à des orties, ils délibéraient sur les moyens de se tirer de ce mauvais pas, quand celles que tenait Suzannet