Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/109

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qui ne voyaient leur voisin que le soir, s’informaient de ses nouvelles, si la clientèle allait un peu. Le signal entendu voulait dire : « Est-ce que les affaires vont bien aujourd’hui ? » Et M. Joyeuse avait répondu, d’instinct, sans savoir : « Pas trop mal pour la saison. » Bien que le jeune Maranne fût très rouge en affirmant cela, M. Joyeuse le croyait sur parole. Seulement cette idée de communication fréquente entre les deux ménages lui fit peur pour le secret de sa situation et dès lors il s’abstint de ce qu’il appelait « ses journées artistiques ». D’ailleurs, le moment approchait ou il ne pourrait plus dissimuler sa détresse, la fin du mois arrivant compliquée d’une fin d’année.

Paris prenait déjà sa physionomie de fête des dernières semaines de décembre. En fait de réjouissance nationale ou populaire, il n’a guère plus que celle-là. Les folies du carnaval sont mortes en même temps que Gavarni, les fêtes religieuses, dont on entend à peine le carillon sur le bruit des rues, s’enferment derrière leurs lourdes portes d’église, le 15 août n’a jamais été que la Saint-Charlemagne des casernes ; mais Paris a gardé le respect du Jour de l’an.

Dès le commencement de décembre, un immense enfantillage se répand par la ville. On voit passer des voitures à bras remplies de tambours dorés, de chevaux de bois, de jouets à la douzaine. Dans les quartiers industrieux du haut en bas des maisons à cinq étages des vieux hôtels du Marais, où les magasins ont de si hauts plafonds et des doubles portes majestueuses on passe les nuits à manier de la gaze, des fleurs et du paillon, à coller des étiquettes sur des boîtes satinées, à trier, marquer, emballer ; les mille détails du joujou, ce grand commerce auquel Paris donne le cachet de