Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/156

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le désert et l’effroi d’une contagion. Ç’avait été pourtant une propriété joyeuse, et où naguère encore on ripaillait largement. Aménagée pour la chanteuse célèbre qui l’avait vendue à Jenkins, elle révélait bien l’imagination particulière aux théâtres de chant, par un pont jeté sur sa pièce d’eau où la nacelle défoncée s’emplissait de feuilles moisies, et son pavillon tout en rocailles, enguirlandé de lierres grimpants. Il en avait vu de drôles, ce pavillon, du temps de la chanteuse, maintenant il en voyait de tristes, car l’infirmerie était installée là.

À vrai dire, tout l’établissement n’était qu’une vaste infirmerie. Les enfants, à peine arrivés, tombaient malades, languissaient et finissaient par mourir, si les parents ne les remettaient vite sous la sauvegarde du foyer. Le curé de Nanterre s’en allait si souvent à Bethléem avec ses vêtements noirs et sa croix d’argent, le menuisier avait tant de commandes pour la maison qu’on le savait dans le pays et que les mères indignées montraient le poing à la nourricerie modèle, de très loin seulement pour peu qu’elles eussent sur les bras un poupon blanc et rose à soustraire à toutes les contagions de l’endroit. C’est ce qui donnait à cette pauvre demeure un aspect si navrant. Une maison où les enfants meurent ne peut pas être gaie, impossible d’y voir les arbres fleurir, les oiseaux nicher, l’eau couler en risettes d’écume.

La chose paraissait désormais acquise. Excellente en soi, l’œuvre de Jenkins était d’une application extrêmement difficile, presque impraticable. Dieu sait pourtant qu’on avait montés l’affaire avec un excès de zèle dans tous les moindres détails, autant d’argent et de monde qu’il en fallait. À la tête, un praticien des plus habiles,