Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/160

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Deux coups sonnés à la grille de l’entrée interrompirent son monologue. L’omnibus revenait du chemin de fer et ses roues grinçaient sur le sable d’une façon inaccoutumée.

« C’est étonnant, dit Pondevèz… la voiture n’est pas vide. »

Elle vint effectivement se ranger au bas du perron avec une certaine fierté, et l’homme qui en descendit franchit l’escalier d’un bond. C’était une estafette de Jenkins apportant une grande nouvelle : le docteur arriverait dans deux heures pour visiter l’asile, avec le Nabab et un monsieur des Tuileries. Il recommandait bien que tout fût prêt pour les recevoir. La chose s’était décidée si brusquement qu’il n’avait pas eu le temps d’écrire ; mais il comptait que M. Pondevèz ferait le nécessaire.

« Il est bon là avec son nécessaire ! » murmura Pondevèz tout effaré… La situation était critique. Cette visite importante tombait au plus mauvais moment, en pleine débâcle du système. Le pauvre Pompon, très perplexe tiraillait sa barbe, en en mâchant des brins.

— Allons », dit-il tout à coup à madame Polge, dont la longue figure s’allongeait encore entre ses coques. « Nous n’avons qu’un parti à prendre. Il nous faut déménager l’infirmerie, transporter tous les malades dans le dortoir. Ils n’en iront ni mieux ni plus mal pour être réinstallés là une demi-journée. Quant aux gourmeux, nous les serrerons dans un coin. Ils sont trop laids, on ne les montrera pas… Allons-y, haut ! tout le monde sur le pont. »

La cloche du dîner mise en branle, aussitôt des pas se précipitent. Lingères, infirmières, servantes, gardeuses, sortent de partout, courent, se heurtent dans les escaliers, à travers les cours. Des ordres se