Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/161

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croisent, des cris, des appels ; mais ce qui domine, c’est le bruit d’un grand lavage, d’un ruissellement d’eau, comme si Bethléem venait d’être surpris par les flammes. Et ces plaintes d’enfants malades, arrachés à la tiédeur de leurs lits, tous ces petits paquets beuglants transportés à travers le parc humide, avec des flottements de couvertures entre les branches, complètent bien cette impression d’incendie. Au bout de deux heures, grâce à une activité prodigieuse, la maison du haut en bas est prête à la visite qu’elle va recevoir, tout le personnel à son poste, le calorifère allumé, les chèvres pittoresquement disséminées dans le parc. Madame Polge a revêtu sa robe de soie verte, le directeur, une tenue un peu moins négligée qu’à l’ordinaire, mais dont la simplicité exclut toute idée de préméditation. Le secrétaire des commandements peut venir.

Et le voilà.

Il descend avec Jenkins et Jansoulet d’un carrosse superbe, à la livrée rouge et or du Nabab. Feignant le plus grand étonnement, Pondevèz s’est élancé au-devant de ses visiteurs :

« Ah ! monsieur Jenkins, quel honneur !… Quelle surprise ! »

Il y a des saluts échangés sur le perron, des révérences, des poignées de main, des présentations. Jenkins, son paletot flottant, large ouvert sur sa loyale poitrine, épanouit son meilleur et plus cordial sourire ; pourtant un pli significatif traverse son front. Il est inquiet des surprises que leur ménage l’établissement dont il connaît mieux que personne la détresse. Pourvu que Pondevèz ait pris ses précautions… Cela commence bien, du reste. Le coup d’œil un peu théâtral de l’entrée, ces toisons blanches bondissant à travers les taillis