Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/198

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savoir. Ma belle mine fit le reste, car il faut bien dire qu’on sait se présenter. M. Noël, en habit noir, très brun de peau, favoris en côtelette, vint au-devant de nous :

— Soyez le bienvenu, monsieur Passajon, me dit-il ; et prenant ma casquette à galons d’argent que j’avais gardée, pour entrer, à la main droite, selon l’usage, il la donna à un nègre gigantesque en livrée rouge et or.

— Tiens, Lakdar, accroche ça… et ça…, ajouta-t-il par manière de risée en lui allongeant un coup de pied en un certain endroit du dos.

On rit beaucoup de cette saillie, et nous nous mîmes à causer d’amitié. Un excellent garçon, ce M. Noël, avec son accent du Midi, sa tournure décidée, la rondeur et la simplicité de ses manières. Il m’a fait penser au Nabab moins la distinction toutefois. J’ai remarqué d’ailleurs ce soir-là que ces ressemblances sont fréquentes chez les valets de chambre qui, vivant en commun avec leurs maîtres, dont ils sont toujours un peu éblouis, finissent par prendre de leur genre et de leurs façons. Ainsi M. Francis a un certain redressement du corps en étalant son plastron de linge, une manie de lever les bras pour tirer ses manchettes, c’est le Monpavon tout craché. Quelqu’un, par exemple, qui ne ressemble pas à son maître, c’est Joë, le cocher du docteur Jenkins. Je l’appelle Joë, mais à la soirée tout le monde l’appelait Jenkins ; car dans ce monde-là, les gens d’écurie se donnent entre eux le nom de leurs patrons, se traitent de Bois-Landry, de Monpavon et de Jenkins, tout court. Est-ce pour avilir les supérieurs, relever la domesticité ? Chaque pays a ses usages ; il n’y a qu’un sot qui doive s’en étonner. Pour en revenir à Joë Jenkins, comment le docteur si affable, si parfait