Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/252

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fiances, anxieux, fiévreux, les nerfs malades, sentant bien la vérité du proverbe corse : « Si tu veux grand mal à ton ennemi, souhaite lui une élection dans sa famille. »

On se figure que le livre des chèques et les trois grands tiroirs de la commode en acajou n’étaient pas épargnés par cette trombe de sauterelles dévorantes abattues sur les salons de « Moussiou Jansoulet ». Rien de plus comique que la façon hautaine dont ces braves insulaires opéraient leurs emprunts, brusquement et d’un air de défi. Pourtant ce n’étaient pas eux les plus terribles, excepté pour les boîtes de cigares, qui s’engloutissaient dans leurs poches, à croire qu’ils voulaient tous ouvrir quelque « Civette » en rentrant au pays. Mais de même qu’aux époques de grande chaleur les plaies rougissent et s’enveniment, l’élection avait donné une recrudescence étonnante à la pillerie installée dans la maison. C’étaient des frais de publicité considérables, les articles de Moëssard expédiés en Corse par ballots de vingt mille, de trente mille exemplaires, avec des portraits, des biographies, des brochures, tout le bruit imprimé qu’il est possible de faire autour d’un nom… Et puis toujours le train habituel des pompes aspirantes établies devant le grand réservoir à millions. Ici, l’œuvre de Bethléem, machine puissante, procédant par coups espacés, pleins d’élans. La Caisse territoriale, aspirateur merveilleux, infatigable, à triple et quadruple corps de pompe, de la force de plusieurs milliers de chevaux ; et la pompe Schwalbach, et la pompe Bois-Landry, et combien d’autres encore, celles-là énormes, bruyantes, les pistons effrontés, ou bien sourdes, discrètes, aux clapets savamment huilés, aux soupapes minuscules, pompes-bijoux, aussi ténues