Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/266

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son assiette en équilibre au bout de ses doigts de poupée.

« Laisse-le donc, lui dit Félicia tranquillement… Tu lui en offriras à dîner.

— À dîner ? »

La danseuse fut si stupéfaite qu’elle manqua renverser sa jolie pâtisserie, soufflée, légère et excellente comme elle.

« Mais oui, je le garde à dîner avec nous… Oh ! je vous en prie », ajouta-t-elle avec une insistance particulière en voyant le mouvement de refus du jeune homme, « je vous en prie, ne me dites pas non… C’est un service véritable que vous me rendez en restant ce soir… Voyons je n’ai pas hésité tout à l’heure, moi… »

Elle lui avait pris la main, et vraiment, l’on sentait une étrange disproportion entre sa demande et le ton suppliant, anxieux, dont elle était faite. Paul se défendit encore. Il n’était pas habillé… Comment voulait-elle ?… Un dîner où elle avait du monde…

« Mon dîner ?… Mais je le décommande… Voilà comme je suis… Nous serons seuls tous les trois, avec Constance.

— Mais, Félicia, mon enfant, tu n’y songes pas… Eh bien ! Et le… l’autre qui va venir tout à l’heure.

— Je vais lui écrire de rester chez lui, parbleu !

— Malheureuse, il est trop tard…

— Pas du tout. Six heures sonnent. Le dîner était pour sept heures et demie… Tu vas vite lui faire porter ça. »

Elle écrivait, en hâte, sur un coin de table.

« Quelle étrange fille, mon Dieu, mon Dieu !… » murmurait la danseuse tout ahurie, pendant que Félicia, ravie, transfigurée, fermait joyeusement sa lettre.