Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/304

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des manières. Avant-hier, à la Territoriale, il nous a fait un branle-bas dont on n’a pas d’idée. On l’entendait crier en plein conseil : « Vous m’avez menti, vous m’avez volé et rendu voleur autant que vous… Montrez-moi vos livres, tas de drôles. » S’il a traité le Moëssard de cette façon, je ne m’étonne plus que l’autre se venge dans son journal.

— Mais, enfin, qu’est-ce qu’il dit cet article, demanda M. Barreau, qui est-ce qui l’a lu ? »

Personne ne répondit. Plusieurs avaient voulu l’acheter ; mais à Paris le scandale se vend comme du pain. À dix heures du matin, il n’y avait plus un numéro du Messager sur la place. Alors une de mes nièces, une délurée s’il en fut, eut l’idée de chercher dans la poche d’un de ces nombreux pardessus qui garnissaient le vestiaire, bien alignés dans des casiers. Au premier qu’elle atteignit :

« Le voilà ! dit l’aimable enfant d’un air de triomphe en tirant un Messager froissé aux plis comme une feuille qu’on vient de lire.

— En voilà un autre ! » cria Tom Bois-Landry, qui cherchait de son côté. Troisième par-dessus, troisième Messager. Et dans tous la même chose ; fourré au fond des poches ou laissant dépasser son titre, le journal était partout comme l’article devait être dans toutes les mémoires, et l’on se figurait le Nabab là-haut échangeant des phrases aimables avec ses invités qui auraient pu lui réciter par cœur les horreurs imprimées sur son compte. Nous rîmes tous beaucoup à cette idée ; mais il nous tardait de connaître à notre tour cette page curieuse.

« Voyons, père Passajon, lisez-nous ça tout haut. »

C’était le vœu général et j’y souscrivis.