Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/314

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Quel prodigieux ouvrier, quel fabricant de joujoux incomparable a pu douer le masque humain de sa souplesse de ressorts, de son élasticité merveilleuse ? Rien de joli comme cette figure de grand seigneur surpris son adultère aux dents, les pommettes enflammées par des mirages de voluptés promises, et s’apaisant à la minute dans une sérénité de tendresse conjugale ; rien de plus beau que l’obséquiosité béate, le sourire paterne, à la Franklin, de Jenkins en présence de la duchesse, faisant place tout à coup, lorsqu’il se trouva seul, à une farouche expression de colère et de haine, une pâleur de crime, la pâleur d’un Castaing ou d’un Lapommerais roulant ses trahisons sinistres.

Un coup d’œil rapide à chacune des deux portes, et tout de suite il fut devant le tiroir plein de papiers précieux, où la petite clé d’or restait à demeure avec une négligence insolente qui semblait dire : « On n’osera pas. »

Jenkins osa, lui.

La lettre était là, sur un tas d’autres, la première. Le grain du papier, trois mots d’adresse jetés d’une écriture simple et hardie, et puis le parfum, ce parfum grisant, évocateur, l’haleine même de sa bouche divine… C’était donc vrai, son amour jaloux ne l’avait pas trompé, ni la gêne qu’on éprouvait devant lui depuis quelque temps, ni les airs cachottiers et rajeunis de Constance, ni ces bouquets magnifiquement épanouis dans l’atelier comme à l’ombre mystérieuse d’une faute… Cet orgueil indomptable se rendait donc enfin ? Mais alors pourquoi pas lui Jenkins ? Lui qui l’aimait depuis si longtemps, depuis toujours, qui avait dix ans de moins que l’autre et qui ne grelottait pas, certes !… Toutes ces pensées lui traversaient la tête, comme des