Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/316

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bien menée que l’opinion publique, toujours crédule et le cou tendu pour prendre le vent, commençait à s’influencer sérieusement. Il faut rendre cette justice à Mora qu’il n’était pas un suiveur de foule. En voyant dans un coin de la galerie la figure toujours bonasse mais un peu piteuse et déconfite du Nabab, il s’était trouvé lâche de le recevoir là et l’avait fait monter dans sa chambre.

Jenkins et Jansoulet, assez gênés en face l’un de l’autre, échangèrent quelques paroles banales. Leur grande amitié s’était bien refroidie depuis quelque temps, Jansoulet ayant refusé net tout nouveau subside à l’œuvre de Bethléem, ce qui laissait l’affaire sur les bras de l’Irlandais, furieux de cette défection, bien plus furieux encore à cette minute de n’avoir pu ouvrir la lettre de Félicia avant l’arrivée de l’intrus. Le Nabab de son côté se demandait si le docteur allait assister à la conversation qu’il désirait avoir avec le duc au sujet des allusions infâmes dont le Messager le poursuivait, inquiet aussi de savoir si ces calomnies n’avaient pas refroidi ce souverain bon vouloir qui lui était si nécessaire au moment de la vérification. L’accueil reçu dans la galerie l’avait à demi tranquillisé ; il le fut tout à fait, quand le duc rentra et vint vers lui, la main tendue :

— Eh bien ! mon pauvre Jansoulet, j’espère que Paris vous fait payer cher la bienvenue. En voilà des criailleries, et de la haine, et des colères.

— Ah ! monsieur le duc, si vous saviez…

— Je connais…, j’ai lu…, dit le ministre se rapprochant du feu.

— J’espère bien que Votre Excellence ne croit pas ces infamies… D’ailleurs j’ai là… J’apporte la preuve. »

De ses fortes pattes velues, tremblantes d’émotion, il