Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/381

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les ordres du monde entier, croix, rubans multicolores, qui débordaient du coussin de velours noir à crépines d’argent.

Le maître des cérémonies venait ensuite devant le bureau du Corps législatif, une douzaine de députés désignés par la sorte, ayant au milieu d’eux la grande taille du Nabab dans l’étrenne du costume officiel comme si l’ironique fortune avait voulu donner au représentant à l’essai un avant-goût de toutes les joies parlementaires. Les amis du défunt, qui suivaient, formaient un groupe assez restreint, singulièrement bien choisi pour mettre à nu le superficiel et le vide de cette existence de grand personnage réduite à l’intimité d’un directeur de théâtre trois fois failli, d’un marchand de tableaux enrichi par l’usure, d’un gentilhomme taré et de quelques viveurs et boulevardiers sans renom. Jusque-là tout le monde allait à pied et tête nue ; à peine dans le bureau parlementaire quelques calottes de soie noire qu’on avait mises timidement en approchant des quartiers populeux. Après, commençaient les voitures.

À la mort d’un grand homme de guerre, il est d’usage de faire suivre le convoi par le cheval favori du héros, son cheval de bataille, obligé de régler au pas ralenti du cortège cette allure fringante qui dégage des odeurs de poudre et des flamboiements d’étendards. Ici le grand coupé de Mora, ce « huit-ressorts » qui le portait aux assemblées mondaines ou politiques, tenait la place de ce compagnon des victoires, ses panneaux tendus de noir, ses lanternes enveloppées de longs crêpes légers flottant jusqu’à terre avec je ne sais quelle grâce féminine ondulante. C’était une nouvelle mode funéraire, ces lanternes voilées, le suprême « chic » du deuil ; et il seyait bien à ce dandy de donner