Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/420

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Est-il descendu à ce degré d’abjection où l’on m’a mis en son nom ?… Je n’ai pas osé m’en convaincre… Ce que j’affirme, c’est que mon pauvre père, qui en savait plus que personne à la maison là-dessus, m’a dit tout bas en mourant : « Bernard, c’est l’aîné qui me tue… Je meurs de honte, mon enfant. »

Il fit une pause nécessaire à son émotion suffoquée, puis :

« Mon père est mort, Me  Le Merquier, mais ma mère vit toujours, et c’est pour elle, pour son repos, que j’ai reculé, que je recule encore devant le retentissement de ma justification. En somme, jusqu’à présent, les souillures qui m’ont atteint n’ont pu rejaillir jusqu’à elle. Cela ne sort pas d’un certain monde, d’une presse spéciale, dont la bonne femme est à mille lieues… Mais les tribunaux, un procès, c’est notre malheur promené d’un bout de la France à l’autre, les articles du Messager reproduits par tous les journaux, même ceux du petit pays qu’habite ma mère. La calomnie, ma défense, ses deux enfants couverts de honte du même coup, le nom — seule fierté de la vieille paysanne — à tout jamais sali… Ce serait trop pour elle. Il y aurait de quoi la tuer. Et vrai, je trouve que c’est assez d’un… Voilà pourquoi j’ai eu le courage de me taire, de lasser, si je le pouvais, mes ennemis par le silence. Mais j’ai besoin d’un répondant vis-à-vis de la Chambre. Je veux lui ôter le droit de me repousser pour des motifs déshonorants, et puisqu’elle vous a choisi pour rapporteur, je suis venu tout vous dire comme à un confesseur à un prêtre, en vous priant de ne rien divulguer de cette conversation, même dans l’intérêt de ma cause… Je ne vous demande que cela, mon cher collègue, une discrétion absolue ; pour