Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/450

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maternel un regard sublime de renoncement, puis, d’une voix sourde, d’un geste découragé

« Excusez-moi, messieurs, cette explication est décidément au-dessus de mes forces… Ordonnez une enquête sur ma vie, ouverte à tous et bien en lumière, hélas ! puisque chacun peut en interpréter tous les actes… Je vous jure que vous n’y trouverez rien qui m’empêche de siéger au milieu des représentants de mon pays. »

La stupeur, la désillusion furent immenses devant cette défaite qui semblait à tous l’effondrement subit d’une grande effronterie acculée. Il y eut un moment d’agitation sur les bancs, le tumulte d’un vote par assis et levé, que le Nabab sous le jour douteux du vitrage regarda vaguement, comme le condamné du haut de l’échafaud regarde la foule houleuse ; puis, après cette attente longue d’un siècle qui précède une minute suprême, le président prononça dans le grand silence et le plus simplement du monde :

« L’élection de M. Bernard Jansoulet est annulée. »

Jamais vie d’homme ne fut tranchée avec moins de solennité ni de fracas.

Là-haut, dans sa tribune, la mère Jansoulet n’y comprit rien, sinon que des vides se faisaient tout autour sur les bancs, que des gens se levaient, s’en allaient. Bientôt il ne resta plus avec elle que le gros homme et la dame en chapeau blanc, penchés tout au bord de la rampe regardant curieusement du côté de Bernard, qui semblait s’apprêter à partir lui aussi, car il serrait d’un air très calme d’épaisses liasses dans un grand portefeuille. Ses papiers rangés, il se leva, quitta sa place… Ah ! ces existences d’estradiers ont parfois des passes bien cruelles. Gravement, lour-