Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Tout ce qui est ici appartient à M. Jenkins. Qu’il en dispose librement. Je ne veux rien de lui… n’insistez pas… c’est inutile. »

L’homme n’insista pas. Sa mission se trouvant remplie, le reste lui importait peu.

Posément, froidement, elle mit son chapeau avec soin devant la glace, la servante attachant le voile, ajustant aux épaules les plis du mantelet ; ensuite elle regarda tout autour, chercha une seconde si elle n’oubliait rien de précieux. Non, rien, les lettres de son fils étaient dans sa poche ; elle ne s’en séparait jamais.

« Madame ne veut pas qu’on attelle ?

— Non. »

Et elle partit.

Il était environ cinq heures. À ce moment, Bernard Jansoulet passait la grille du Corps législatif, sa mère au bras, mais, si poignant que fût le drame qui se jouait là-bas, celui-ci le surpassait encore, plus subit, plus imprévu, sans la moindre solennité, le drame intime entre cuir et chair, comme Paris en improvise à toute heure du jour ; et c’est peut-être ce qui donne à l’air qu’on y respire cette vibration ce frémissement où s’activent les nerfs de tous. Le temps était magnifique. Les rues de ces riches quartiers, larges et droites comme des avenues, resplendissaient dans la lumière déjà un peu tombante, égayées de fenêtres ouvertes, de balcons fleuris, de verdures entrevues vers les boulevards, si légères, si frémissantes, entre les horizons droits et durs de la pierre. C’est de ce côté que descendait la marche pressée de madame Jenkins, se hâtant au hasard dans un étourdissement douloureux. Quelle chute horrible ! Riche il y a cinq minutes, entourée de tout le respect et le confort d’une grande existence.