Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/463

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couchée, immobile sur un lit d’hôtel garni, le sommeil de plomb d’un soporifique dans la tête, ou là-bas, hors des murs, déplaçant la vase de quelque bateau amarré. Lequel valait mieux ?

Elle hésitait, cherchait, comparait, puis, sa décision prise, partait enfin rapidement avec ce mouvement résolu de la femme qui s’arrache à regret aux tentations savantes de l’étalage. Comme elle s’élançait, le marquis de Monpavon fringant et superbe, une fleur à la boutonnière, la saluait à distance de ce grand coup de chapeau si cher à la vanité des femmes, le chic suprême du salut dans la rue, la coiffure haut levée au-dessus de la tête très droite. Elle lui répondait par son gentil bonjour de Parisienne à peine exprimé dans une imperceptible inclination de la taille et du sourire des yeux, et jamais à voir cet échange de politesses mondaines au milieu de la fête printanière, on ne se serait douté qu’une même pensée sinistre guidait ces deux marcheurs croisés par le hasard sur la route qu’ils poursuivaient en sens inverse, tout en allant au même but.

La prédiction du valet de chambre de Mora s’était réalisée pour le marquis : « Nous pouvons mourir, perdre le pouvoir, alors on vous demandera des comptes, et ce sera terrible. » C’était terrible. À grand-peine, l’ancien receveur général avait obtenu un délai extrême de quinze jours pour rembourser le Trésor, comptant comme dernière chance que Jansoulet validé, rentré dans ses millions, lui viendrait encore une fois en aide. La décision de l’Assemblée venait de lui enlever ce suprême espoir. Dès qu’il la connut, il revint au cercle très calme, monta dans sa chambre où Francis l’attendait dans une grande impatience pour lui remettre un papier important arrivé dans la journée. C’était une