Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/464

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notification au sieur Louis-Marie-Agénor de Monpavon d’avoir à comparaître le lendemain dans le cabinet du juge d’instruction. Cela s’adressait-il au censeur de la Caisse territoriale ou à l’ancien receveur général en déficit ? En tout cas, la formule brutale de l’assignation judiciaire employée dès l’abord, au lieu d’une convocation discrète, disait assez la gravité de l’affaire et les fermes résolutions de la justice.

Devant une pareille extrémité attendue et prévue depuis longtemps, le parti du vieux beau était pris d’avance. Un Monpavon à la correctionnelle, un Monpavon, bibliothécaire à Mazas !… Jamais… Il mit en ordre toutes ses affaires, déchira des papiers, vida minutieusement ses poches dans lesquelles il glissa seulement quelques ingrédients pris sur sa table de toilette, tout cela avec tant de calme et de naturel que, lorsqu’en s’en allant, il dit à Francis : « M’en vas au bain… Diablesse de Chambre… Poussière infecte… » le domestique le crut sur parole. Le marquis ne mentait pas, du reste. Cette émouvante et longue station debout là-haut dans la poussière de la tribune lui avait rompu les membres autant que deux nuits en wagon, et sa décision de mourir s’associant à l’envie de prendre un bon bain, le vieux sybarite songeait à s’endormir dans une baignoire comme chose… machin… ps… ps… ps… et autres fameux personnages de l’Antiquité. C’est une justice à lui rendre, que pas un de ces stoïques n’alla au-devant de la mort avec plus de tranquillité que lui.

Fleuri par-dessus sa rosette d’officier d’un camélia blanc dont le décorait en passant la jolie bouquetière du Cercle, il remontait d’un pas léger le boulevard des Capucines, quand la vue de madame Jenkins troubla pendant une minute sa sérénité. Il lui avait trouvé un