Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/473

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cœur… Et maintenant embrasse-moi que je m’en aille vite… J’ai trop tardé. »

Une minute encore, elle n’aurait plus la force de ce qu’il lui reste à accomplir. Elle s’élance.

« Eh bien, non, tu ne sortiras pas… Je sens qu’il se passe dans ta vie quelque chose d’extraordinaire que tu ne veux pas dire… Tu as un grand chagrin, je suis sûr. Cet homme t’aura fait quelque infamie…

— Non, non… Laisse-moi aller… laisse-moi aller. »

Mais il la retient au contraire, il la retient fortement.

« Voyons, qu’est-ce qu’il y a ?… Dis… dis… »

Puis tout bas, à l’oreille, la parole tendre, appuyée et sourde comme un baiser :

« Il t’a quittée, n’est-ce pas ? »

La malheureuse tressaille, se débat.

« Ne me demande rien… je ne veux rien dire… adieu. »

Et lui, la pressant contre son cœur :

« Que pourrais-tu me dire que je ne sache déjà, pauvre mère ?… Tu n’as donc pas compris pourquoi je suis parti, il y a six mois…

— Tu sais ?…

— Tout… Et ce qui t’arrive aujourd’hui, voilà longtemps que je le pressens, que je le souhaite…

— Oh ! malheureuse, malheureuse, pourquoi suis-je venue ?

— Parce que c’est ta place, parce que tu me dois dix ans de ma mère… Tu vois bien qu’il faut que je te garde. »

Il lui dit cela à genoux devant le divan où elle s’est laissée tomber dans un débordement de larmes et les derniers cris douloureux de son orgueil blessé. Long-