Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/509

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fraîche et piquante à respirer, un élixir de vie parfumé au thym des collines.

« Ah ! c’est bon… ça repose… »

C’était le cri général, un frémissement d’aise, une pâmoison de bien-être accompagnant chaque vers. Ça le reposait, ce gros Hemerlingue, soufflant dans son avant-scène du rez-de-chaussée comme dans une auge de satin cerise. Ça la reposait, la grande Suzanne Bloch, coiffée à l’antique avec des frisons dépassant un diadème d’or, et près d’elle, Amy Férat, toute en blanc comme une mariée, des brins d’oranger dans ses cheveux à la chien, ça la reposait bien aussi, allez !

Il y avait là une foule de créatures, quelques-unes très grasses, d’une graisse malpropre ramassée dans tous les sérails, trois mentons et l’air bête, d’autres absolument vertes malgré le fard, comme si on les eût trempées dans un bain de cet arséniate de cuivre que le commerce appelle du « vert de Paris », tellement ridées, fanées, qu’elles se dissimulaient au fond de leurs loges, ne laissant voir qu’un bout de bras blanc, une épaule encore ronde qui dépassait. Puis des gandins avachis, échinés, ceux qu’on nommait alors des petits crevés, la nuque tendue, les lèvres pendantes, incapables de se tenir debout ou d’articuler un mot en entier. Et tous ces gens s’exclamaient ensemble : « C’est bon… ça repose… » Le beau Moëssard le murmurait comme un fredon sous sa petite moustache blonde, tandis que sa reine en première loge de face le traduisait dans la barbarie de sa langue étrangère. Positivement, ça les reposait. Ils ne disaient pas de quoi, par exemple, de quelle besogne écœurante de quelle tâche forcée d’oisifs et d’inutiles.

Tous ces murmures bienveillants, unis, confondus,