Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/515

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Il s’interrogeait ainsi dans une solitude qu’accentuaient les bruits environnants, les clés brusques aux portes des loges, les mille exclamations d’une foule amusée. Puis subitement la fraîcheur du luxe qui l’entourait, la lanterne mauresque découpée en ombres bizarres sur les soies brillantes du divan et des murs lui remettaient en mémoire la date de son arrivée… Six mois !… Seulement six mois, qu’il était à Paris !… Tout flambé, tout dévoré en six mois !… Il s’absorba dans une sorte de torpeur, d’où le tirèrent des applaudissements, des bravos enthousiastes. C’était décidément un grand succès, cette pièce de Révolte. On arrivait maintenant aux passages de force, de satire ; et les tirades virulentes, un peu emphatiques mais qu’enlevait un souffle de jeunesse et de sincérité, faisaient vibrer tous les cœurs, après les effusions idylliques du début. Jansoulet à son tour voulut entendre, voulut voir. Ce théâtre lui appartenait, après tout. Sa place dans cette avant-scène lui coûtait plus d’un million ; c’était bien le moins qu’il l’occupât.

Le voilà de nouveau assis sur le devant de sa loge. Dans la salle, une chaleur lourde, suffocante, remuée et non dissipée par les éventails haletants qui promenaient des reflets et des paillettes avec tous les souffles impalpables du silence. On écoutait religieusement une réplique indignée et fière contre les forbans, si nombreux à cette époque, qui tenaient le haut du pavé après en avoir battu les coins les plus obscurs pour détrousser les passants. Certes, Maranne, en écrivant ces beaux vers, avait pensé à tout autre qu’au Nabab. Mais le public y vit une allusion ; et tandis qu’une triple salve d’applaudissements accueillait la fin de la tirade, toutes les têtes se tournaient vers avant-scène de gauche avec