Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/68

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maison avait une autre mine qu’aujourd’hui. Certainement, les affaires allaient déjà mal, — elles sont toujours allées mal, nos affaires, — le journal ne paraissait plus que d’une façon irrégulière. Mais une petite combinazione du gouverneur lui permettait de sauver les apparences.

Il avait eu l’idée, figurez-vous, d’ouvrir une souscription patriotique pour élever une statue au général Paolo, Paoli, enfin, à un grand homme de son pays. Les Corses ne sont pas riches, mais ils sont vaniteux comme des dindons. Aussi l’argent affluait à la Territoriale. Malheureusement, cela ne dura pas. Au bout de deux mois, la statue était dévorée avant d’être construite et la série des protêts, des assignations recommençait. Aujourd’hui, je m’y suis habitué. Mais, en arrivant de ma province, les affiches par autorité de justice, les Auvergnats devant la porte me causaient une impression fâcheuse. Dans la maison, on n’y faisait plus attention. On savait qu’au dernier moment il arriverait toujours un Monpavon, un Bois-Landry, pour apaiser les huissiers ; car, tous ces messieurs, engagés très avant dans l’affaire, sont intéressés à éviter la faillite. C’est bien ce qui le sauve, notre malin gouverneur. Les autres courent après leur argent — on sait ce que cela veut dire au jeu — et ils ne seraient pas flattés que toutes les actions qu’ils ont dans les mains ne fussent plus bonnes qu’à vendre au poids du papier.

Du petit au grand, nous en sommes tous là dans la maison. Depuis le propriétaire, à qui l’on doit deux ans de loyer, et qui de peur de tout perdre, nous garde pour rien, jusqu’à nous autres, pauvres employés, jusqu’à moi, qui en suis pour mes sept mille francs d’économies, et mes quatre ans d’arriéré, nous courons après notre