Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/113

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Et je descendis…

Dieu m’est témoin qu’à ce moment-là toute idée de violence était bien loin de moi ; je voulais seulement intimider le marquis par la fermeté de mon attitude ; mais, en me voyant descendre de ma chaire, il se mit à ricaner d’une façon si méprisante, que j’eus le geste de le prendre au collet pour le faire sortir de son banc…

Le misérable tenait cachée sous sa tunique une énorme règle en fer. À peine eus-je levé la main, qu’il m’assena sur le bras un coup terrible. La douleur m’arracha un cri.

Toute l’étude battit des mains.

— Bravo, marquis !

Pour le coup, je perdis la tête. D’un bond, je fus sur la table, d’un autre sur le marquis et alors, le prenant à la gorge, je fis si bien, des pieds, des poings, des dents, de tout, que je l’arrachai de sa place et qu’il s’en alla rouler hors de l’étude jusqu’au milieu de la cour… Ce fut l’affaire d’une seconde ; je ne me serais jamais cru tant de vigueur.

Les élèves étaient consternés. On ne criait plus : « Bravo, marquis ! » On avait peur. Boucoyran, le fort des forts, mis à la raison par ce gringalet de pion ! Quelle aventure !… Je venais de gagner en autorité ce que le marquis venait de perdre en prestige.

Quand je remontai dans ma chaire, pâle encore et tremblant d’émotion, tous les visages se penchèrent vivement sur les pupitres. L’étude était matée. Mais le principal, M. Viot, qu’al-