Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/292

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che, et s’interrompant de temps à autre pour me dire : « Quelle tête à caractère vous avez, mon cher Dani-Dan ! » Quand j’étais en Turc, elle m’appelait Dani-Dan ! quand j’étais en Italien, Danielo ; jamais Daniel… J’aurai du reste l’honneur de figurer sous ces espèces à l’Exposition prochaine de peinture : on verra sur le livret : « Jeune pifferaro, à madame Irma Borel. » « Jeune fellah, à madame Irma Borel. » Et ce sera moi… quelle honte !

« Je m’arrête un moment, Jacques. Je vais ouvrir la fenêtre, et boire un peu l’air de la nuit. J’étouffe… je n’y vois plus.

« Onze heures.

« L’air me fait du bien. En laissant la fenêtre ouverte je puis continuer à t’écrire. Il pleut, il fait noir, les cloches sonnent. Que cette chambre est triste !… Chère petite chambre ! Moi qui l’aimais tant autrefois ; maintenant je m’y ennuie. C’est elle qui me l’a gâtée ; elle y est venue trop souvent. Tu comprends, elle m’avait là sous la main, dans la maison ; c’était commode. Oh ! ce n’était plus la chambre du travail…

« Que je fusse ou non chez moi, elle entrait à toute heure et fouillait partout. Un soir je la trouvai furetant dans un tiroir où je renferme ce que j’ai de plus précieux au monde, les lettres de notre mère, les tiennes, celles des yeux noirs ; celles-ci dans une boîte dorée que tu dois connaître. Au moment où