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LETTRES DE MON MOULIN.

pâtres seuls comprennent, j’admirais cet homme au dedans de moi, et, songeant à l’état de ruine où il a trouvé sa langue maternelle et ce qu’il en a fait, je me figurais un de ces vieux palais des princes des Baux comme on en voit dans les Alpilles : plus de toits, plus de balustres aux perrons, plus de vitraux aux fenêtres, le trèfle des ogives cassé, le blason des portes mangé de mousse, des poules picorant dans la cour d’honneur, des porcs vautrés sous les fines colonnettes des galeries, l’âne broutant dans la chapelle où l’herbe pousse, des pigeons venant boire aux grands bénitiers remplis d’eau de pluie, et enfin, parmi ces décombres, deux ou trois familles de paysans qui se sont bâti des huttes dans les flancs du vieux palais.

Puis, voilà qu’un beau jour le fils d’un de ces paysans s’éprend de ces grandes ruines et s’indigne de les voir ainsi profanées ; vite, vite, il chasse le bétail hors de la cour d’honneur ; et, les fées lui venant en aide, à lui tout seul il reconstruit le grand esca-