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LES DEUX AUBERGES.

face. Chez nous, on trouve que c’est trop triste… Le fait est que la maison n’est pas bien agréable. Je ne suis pas belle, j’ai les fièvres, mes deux petites sont mortes… Là-bas, au contraire, on rit tout le temps. C’est une Arlésienne qui tient l’auberge, une belle femme avec des dentelles et trois tours de chaîne d’or au cou. Le conducteur, qui est son amant, lui amène la diligence. Avec ça un tas d’enjôleuses pour chambrières… Aussi, il lui en vient de la pratique ! Elle a toute la jeunesse de Bezouces, de Redessan, de Jonquières. Les rouliers font un détour pour passer par chez elle… Moi, je reste ici tout le jour, sans personne, à me consumer.

Elle disait cela d’une voix distraite, indifférente, le front toujours appuyé contre la vitre. Il y avait évidemment dans l’auberge d’en face quelque chose qui la préoccupait…

Tout à coup, de l’autre côté de la route, il se fit un grand mouvement. La diligence s’ébranlait dans la poussière. On entendait des coups de fouet, les fanfares du postillon, les filles accourues sur la porte qui criaient :