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LETTRES DE MON MOULIN.

mes révérends pères, que tante Bégon, de son vivant, se connaissait aux herbes de montagnes autant et mieux qu’un vieux merle de Corse. Voire, elle avait composé sur la fin de ses jours un élixir incomparable en mélangeant cinq ou six espèces de simples que nous allions cueillir ensemble dans les Alpilles. Il y a belles années de cela : mais je pense qu’avec l’aide de saint Augustin et la permission de notre père abbé, je pourrais — en cherchant bien — retrouver la composition de ce mystérieux élixir. Nous n’aurions plus alors qu’à le mettre en bouteilles, et à le vendre un peu cher, ce qui permettrait à la communauté de s’enrichir doucettement, comme ont fait nos frères de la Trappe et de la Grande…

Il n’eut pas le temps de finir. Le prieur s’était levé pour lui sauter au cou. Les chanoines lui prenaient les mains. L’argentier, encore plus ému que tous les autres, lui baisait avec respect le bord tout effrangé de sa cucule… Puis chacun revint à sa chaire pour délibérer ; et, séance tenante, le chapitre