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LETTRES DE MON MOULIN.

tout le bateau d’un côté et le remplissant d’eau. Cet affût-là est trop compliqué pour mon inexpérience. Aussi, le plus souvent, je vais à l’espère à pied, barbotant en plein marécage avec d’énormes bottes taillées dans toute la longueur du cuir. Je marche lentement, prudemment, de peur de m’envaser. J’écarte les roseaux pleins d’odeurs saumâtres et de sauts de grenouilles…

Enfin, voici un îlot de tamaris, un coin de terre sèche où je m’installe. Le garde, pour me faire honneur, a laissé son chien avec moi ; un énorme chien des Pyrénées à grande toison blanche, chasseur et pêcheur de premier ordre, et dont la présence ne laisse pas que de m’intimider un peu. Quand une poule d’eau passe à ma portée, il a une certaine façon ironique de me regarder en rejetant en arrière, d’un coup de tête à l’artiste, deux longues oreilles flasques qui lui pendent dans les yeux ; puis des poses à l’arrêt, des frétillements de queue, toute une mimique d’impatience pour me dire :

— Tire… tire donc !