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LETTRES DE MON MOULIN.

J’ai vu cela une fois au mois d’août, en venant tirer les hallebrands, et je n’oublierai jamais l’aspect triste et féroce de ce paysage embrasé. De place en place, les étangs fumaient au soleil comme d’immenses cuves, gardant tout au fond un reste de vie qui s’agitait, un grouillement de salamandres, d’araignées, de mouches d’eau cherchant des coins humides. Il y avait là un air de peste, une brume de miasmes lourdement flottante qu’épaississaient encore d’innombrables tourbillons de moustiques. Chez le garde, tout le monde grelottait, tout le monde avait la fièvre, et c’était pitié de voir les visages jaunes, tirés, les yeux cerclés, trop grands, de ces malheureux condamnés à se traîner, pendant trois mois, sous ce plein soleil inexorable qui brûle les fiévreux sans les réchauffer… Triste et pénible vie que celle de garde-chasse en Camargue ! Encore celui-là a sa femme et ses enfants près de lui ; mais à deux lieues plus loin, dans le marécage, demeure un gardien de chevaux qui, lui, vit absolument seul d’un