Page:Daudet - Lettres de mon moulin.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
LA MULE DU PAPE.

peine. C’était une belle mule noire mouchetée de rouge, le pied sûr, le poil luisant, la croupe large et pleine, portant fièrement sa petite tête sèche toute harnachée de pompons, de nœuds, de grelots d’argent, de bouffettes ; avec cela douce comme un ange, l’œil naïf, et deux longues oreilles, toujours en branle, qui lui donnaient l’air bon enfant… Tout Avignon la respectait, et, quand elle allait dans les rues, il n’y avait pas de bonnes manières qu’on ne lui fît ; car chacun savait que c’était le meilleur moyen d’être bien en cour, et qu’avec son air innocent, la mule du Pape en avait mené plus d’un à la fortune, à preuve Tistet Védène et sa prodigieuse aventure.

Ce Tistet Védène était, dans le principe, un effronté galopin, que son père, Guy Védène, le sculpteur d’or, avait été obligé de chasser de chez lui, parce qu’il ne voulait rien faire et débauchait les apprentis. Pendant six mois, on le vit traîner sa jaquette dans tous les ruisseaux d’Avignon, mais principalement du côté de la maison papale ;