Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/100

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font chez Roumestan leur noviciat politique.

Lappara, grand beau garçon, bien jambé, teint chaud, barbe fauve, fils du vieux marquis de Lappara, chef du parti dans le Bordelais, montre bien le type de ce Midi créole, hâbleur, aventureux, friand de duels et d’escampatives. Cinq ans de Paris, cent mille francs « roustis » au cercle et payés avec les diamants de la mère, ont suffi pour lui donner l’accent du boulevard, un beau ton de gratin croustillant et doré. Tout autre est le vicomte Charlexis de Rochemaure, compatriote de Numa, élevé chez les Pères de l’Assomption, ayant fait son droit en province sous la surveillance de sa mère et d’un abbé, et gardant de son éducation, des candeurs, des timidités de lévite en contraste avec sa royale Louis XIII, l’air à la fois d’un raffiné et d’un jocrisse.

Le grand Lappara essaye d’initier ce jeune Pourceaugnac à la vie parisienne. Il lui apprend à s’habiller, ce qui est chic et pas chic, à marcher la nuque en avant, la bouche abrutie, à s’asseoir d’une pièce, les jambes allongées, pour ne pas marquer de genoux au pantalon. Il voudrait lui faire perdre cette foi naïve aux hommes et aux choses, ce goût du grimoire qui le classe gratte-papier. Mais non, le vicomte aime sa besogne, et quand Roumestan ne l’emmène pas à la Chambre ou au palais, comme aujourd’hui, il reste assis pendant des heures à grossoyer devant la longue table installée pour les secrétaires à côté du cabinet du patron. Le Bordelais, lui, a roulé un pouf contre la croisée, et, dans le jour qui tombe, le cigare aux dents, les jambes étendues, il regarde à travers la pluie