Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/101

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et le gâchis fumant de l’asphalte la longue file d’équipages alignés, le fouet haut, au ras du trottoir, pour le jeudi de Mme Roumestan.

Que de monde ! Et ce n’est pas fini, il arrive encore des voitures. Lappara, qui se vante de connaître à fond la grande livrée de Paris, annonce à mesure, tout haut : « Duchesse de San Donnino… Marquis de Bellegarde… Mazette ! Les Mauconseil aussi… Ah çà, qu’est-ce qu’il y a donc ? » Et, se tournant vers un maigre et long personnage qui sèche devant la cheminée ses gants de tricot, son pantalon de couleur, trop mince pour la saison et relevé avec précaution sur des bottines d’étoffe : « Savez-vous quelque chose, Bompard ?

— Quelque chase ?… Certainemain… »

Bompard, le mameluck de Roumestan, est comme un quatrième secrétaire qui fait le dehors, va aux nouvelles, promène dans Paris la gloire du patron. Ce métier ne l’enrichit guère, à en juger sur sa mine ; mais ce n’est pas la faute de Numa. Un repas par jour, un demi-louis de loin en loin, on n’a jamais pu faire accepter davantage à ce singulier parasite dont l’existence reste un problème pour ses plus intimes. Lui demander, par exemple, s’il sait quelque chose, douter de l’imagination de Bompard est une bonne naïveté.

— Oui, messieurs… Et quelque chase de très grave…

— Quoi donc ?

— On vient de tirer sur le maréchal !

Un instant de stupeur. Les jeunes gens se regardent, regardent Bompard ; puis Lappara, rallongé