Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/102

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dans son pouf, demande tranquillement :

— Et vos asphaltes, mon bon ? où en sont-elles ?

— Ah ! vai, les asphaltes… J’ai une affaire bien meilleure…

Sans s’étonner autrement du peu d’effet produit par l’assassinat du maréchal, le voilà racontant sa combinaison nouvelle. Oh ! une affaire superbe, et si simple. Il s’agissait de rafler les cent vingt mille francs de primes que le gouvernement suisse donne chaque année dans les tirs fédéraux. Bompard, dans sa jeunesse, tirait supérieurement les alouettes. Il n’aurait qu’à se refaire un peu la main, c’était cent vingt mille francs de rente assurés jusqu’à la fin de sa vie. Et de l’argent facile à gagner, au moins ! La Suisse, à petites journées, de canton en canton, le rifle sur l’épole

Le visionnaire s’animait, décrivait, grimpait aux glaciers, descendait des vals et des torrents, secouait les avalanches devant les jeunes gens ébahis. De toutes les inventions de cette cervelle frénétique, celle-là était encore la plus extraordinaire, débitée d’un air convaincu, avec une fièvre dans le regard, un feu intérieur qui bossuait le front, le crevassait de rides profondes.

La brusque arrivée de Méjean, revenant du palais tout essoufflé, arrêta ces divagations.

— Grande nouvelle !… dit-il en jetant sa serviette sur la table… Le ministère est à bas.

— Pas possible !

— Roumestan prend l’Instruction publique…

— Je le savais, dit Bompard.

— Et, voyant leur sourire :