Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/106

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et-quarante. Étaient-ce les modes de la Fronde, les feutres à longue plume qui les disposaient ainsi à la politique ; mais toutes ces dames y semblaient très fortes, et dans le plus pur langage parlementaire, agitant leurs petits manchons pour interrompre, toutes célébraient la gloire du leader. Du reste, ce n’était qu’un cri partout : « Quel homme ! quel homme ! »

Dans un coin, le vieux Béchut, professeur au Collège de France, très laid, tout en nez, un gros nez de savant allongé sur les livres, prenait texte du succès de Roumestan pour discuter une de ses thèses favorites : la faiblesse du monde moderne vient de la place qu’y prennent la femme et l’enfant. Ignorance et chiffons, caprice et légèreté.

« Eh bien ! monsieur, la force de Roumestan est là. Il n’a pas eu d’enfant, il a su échapper à l’influence féminine… Aussi quelle ligne droite et ferme ! Pas un écart, pas une brisure. » Le grave personnage auquel il s’adressait, conseiller référendaire à la Cour des Comptes, regard ingénu, petit crâne rond et ras où la pensée faisait un bruit de graine sèche dans une courge vide, se rengorgeait magistralement, approuvait avec un air de dire : « Et moi aussi, monsieur, je suis un homme supérieur… moi aussi, j’échappe à l’influence dont vous parlez. »

Voyant qu’on s’approchait pour écouter, le savant haussa le ton, cita des exemples historiques, César, Richelieu, Frédéric, Napoléon, prouva scientifiquement que la femme, sur l’étiage des êtres pensants, était à plusieurs échelons au-dessous de l’homme. «