Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/123

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plus spécialement pour les cultes. Puis le malheureux paysan ne trouva plus jamais personne, tout le cabinet étant allé rejoindre le ministre dans les régions inaccessibles où Son Excellence s’abritait. Pourtant il ne perdit son calme ni son courage, ouvrit toujours devant les réponses évasives des huissiers et leurs haussements d’épaules les mêmes yeux étonnés et clairs où luisait tout au fond cette pointe demi-railleuse qui est l’esprit des regards provençaux :

— Va bien… va bien… je reviendrai.

Et il revenait. Sans ses guêtres montantes et son instrument en sautoir, on eût pu le prendre pour un employé de la maison, tellement son arrivée y était régulière, quoique plus difficile chaque matin.

Rien que la vue de la haute porte cintrée lui faisait maintenant battre le cœur. Au fond de la voûte, c’était l’ancien hôtel Augereau, avec sa vaste cour où l’on entassait déjà du bois pour l’hiver, ses deux perrons si laborieux à monter sous les regards railleurs de la valetaille. Tout augmentait son émoi, les chaînes d’argent des huissiers, les casquettes galonnées, les accessoires infinis de ce majestueux appareil qui le séparait de son protecteur. Mais il redoutait plus encore les scènes au logis, le terrible froncement de sourcils d’Audiberte, et voilà pourquoi il revenait désespérément. Enfin le concierge eut pitié de lui, lui donna le conseil, s’il voulait voir le ministre, de l’attendre à la gare Saint-Lazare, au moment du départ pour Versailles.