Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/141

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Il lui en coûta positivement pour retenir la confidence qui lui venait aux lèvres avec un gros soupir. « Si je ne l’aimais pas, je serais bien coupable… »

Le baron de Lappara entra très vite, l’air mystérieux :

« Mademoiselle Bachellery est là. »

Aussitôt le visage de Numa se colora vivement. Un éclair sécha dans ses yeux l’attendrissement qui montait.

— Où est-elle ?… Chez vous ?

— J’avais déjà monseigneur Lipmann… dit Lappara un peu railleur à l’idée d’un rencontre possible. Je l’ai mise en bas… dans le grand salon… La répétition est finie.

— Bien… J’y vais.

— N’oubliez pas le conseil… essaya de dire Méjean. Mais Roumestan, sans l’entendre, s’élançait dans le petit escalier en casse-cou qui mène des appartements particuliers du ministre au rez-de-chaussée de réception.

Depuis l’histoire de madame d’Escarbès, il s’était toujours gardé des liaisons sérieuses, affaires de cœur ou de vanité qui auraient pu détruire à jamais son ménage. Ce n’était certes pas un mari modèle ; mais le contrat criblé d’accrocs tenait encore. Rosalie, bien qu’avertie une première fois, était trop droite, trop honnête, pour de jalouses surveillances, et toujours inquiète, n’arrivait jamais aux preuves. À cette heure encore, s’il eût pu se douter de la place que ce nouveau caprice allait tenir dans son existence, il se fût dépêché de remonter l’escalier