Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/146

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yeux

Et Roumestan, à pleine voix :

Vont faire pâlir les étoiles…

Elle l’interrompit :

— Attendez donc… Maman va nous accompagner.

Et les pupitres bousculés, le piano ouvert, elle installait sa mère de force. Ah ! une petite personne décidée… Le ministre hésita une seconde, le doigt sur la page du duo. Si quelqu’un les entendait !…

Bah ! depuis trois jours on répétait tous les matins dans le grand salon… Ils commencèrent.

Tous deux suivaient, debout, sur la même page de musique que madame Bachellery accompagnait de mémoire. Leurs deux fronts rapprochés se touchaient presque, leurs souffles se frôlaient avec les caresses modulantes du rythme. Et Numa se passionnait, donnait de l’expression, tendait les bras, aux notes hautes, pour les mieux porter. Depuis quelques années, depuis son grand rôle politique, il avait plus souvent parlé que solfié ; sa voix s’était alourdie comme sa personne, mais il prenait encore un grand plaisir à chanter, surtout avec cette enfant.

Par exemple, il avait complètement oublié l’évêque de Tulle, et le Conseil supérieur se morfondant en rond autour de la grande table verte. Une ou deux fois la tête blafarde de l’huissier de service était apparue dans le cliquetis de sa chaîne d’argent, pour reculer aussitôt, effarée d’avoir vu le ministre de l’Instruction publique et des Cultes chantant un duo avec une actrice des pet