Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/153

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du bout de son gant pour regarder la rue mouillée de noire.

— Oh ! la fille, c’est une autre paire de manches… Avec son petit air comme ça, c’est une demoiselle très froide, très sérieuse… Je ne sais pas ce qu’elle vise, mais elle vise quelque chose, que je ne dois pas être en situation de lui donner. »

Numa se sentit soulagé :

« Ah ! vraiment ?… Et pourtant vous y retournez ?…

— Mais oui… c’est si amusant, cet intérieur des Bachellery… Le père, l’ancien directeur, fait des couplets comiques pour les cafés-concerts. La maman les chante et les mime en fricassant des cèpes à l’huile et de la bouillabaisse comme Roubion lui-même n’en a pas. Cris, désordre, musiquette, ripaille, les Folies- Bordelaises en famille. La petite Bachellery mène le branle, tourbillonne, soupe, roulade, mais ne perd pas la tête un instant.

— Eh ! mon gaillard, vous comptez bien qu’elle la perdra un jour ou l’autre, et à votre profit encore. » Devenu subitement très grave, le ministre ajouta : « Mauvais milieu pour vous, jeune homme.

Il faut être plus sérieux que cela, que diable !… La folie bordelaise ne peut pas durer toute la vie. »

Il lui prit la main :

« Vous ne songez donc pas à vous marier, voyons ?

— Ma foi, non, monsieur le ministre… je suis très bien comme je suis… à moins d’une aubaine étonnante…