Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/165

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deux cœurs réunis après une longue absence. Sans chercher d’où pouvait venir ce regain de tendresse, elle le revoyait aimant et jeune comme un soir devant le panneau des chasses, et elle était toujours la Diane désirable, souple et fine dans sa robe de brocart blanc, ses cheveux châtains en bandeaux sur le front pur sans une pensée mauvaise, où ses trente ans en paraissaient vingt-cinq.

Hortense était bien jolie aussi, tout en bleu ; un tulle bleu qui entourait d’une nuée sa longue taille un peu penchée en avant, ombrait son visage d’une douceur brune. Mais le début de son musicien la préoccupait. Elle se demandait comment ce public raffiné goûterait cette musique locale, s’il n’aurait pas fallu, comme disait Rosalie, encadrer le tambourin d’un horizon gris d’oliviers et de collines en dentelles ; et, silencieuse, tout émue, elle comptait sur le programme les morceaux avant Valmajour, dans un demi-bruit d’éventails, de conversations à voix basse, auquel se mêlait l’accord successif des instruments.

Un battement d’archet aux pupitres, un froissement de papier sur l’estrade où les choristes se sont levés, leur partie à la main, un long regard des victimes, comme une envie de fuir, du côté de la haute porte obstruée d’habits noirs et le chœur de Gluck envoie ses premières notes vers le vitrage là-haut, où la nuit d’hiver superpose ses nappes bleues :

Ah ! dans ce bois funeste et sombre…

C’est commencé…