Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/168

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sièges bas, le claque ballant entre les jambes, hébétés, la figure vide.

À un moment, l’entrée en scène d’Alice Bachellery réveille et remue tout le monde. Aux deux portes de la salle il se fait une poussée curieuse pour apercevoir la petite diva en jupe courte sur l’estrade, la bouche entr’ouverte, ses longs cils battant comme de la surprise de voir toute cette foule. « Chaud ! chaud ! les p’tits pains d’gruau !  » fredonnent les jeunes gens des clubs avec le geste canaille de sa fin de couplet. De vieux messieurs de l’Université s’approchent tout frétillants, tendant la tête du côté de leur bonne oreille pour ne pas perdre une intention de la gaudriole à la mode. Et c’est un désappointement, quand le petit mitron de sa voix aigrelette et courte entonne un grand air d’Alceste seriné par la Vauters qui l’encourage de la coulisse. Les figures s’allongent, les habits noirs désertent, recommencent à errer, d’autant plus librement que le ministre ne les surveille plus, parti au fond du dernier salon au bras de M. de Boë, tout étourdi d’un tel honneur.

Éternel enfantin de l’Amour ! Ayez donc vingt ans de Palais, quinze ans de tribune, soyez assez maître de vous pour garder au milieu des séances les plus secouées et des interruptions sauvages l’idée fixe et le sang-froid du goéland qui pêche en pleine tempête et si une fois la passion s’en mêle, vous vous trouverez faible parmi les faibles, tremblant et lâche au point de vous accrocher désespérément au bras d’un imbécile plutôt que d’entendre la moindre critique de votre idole.