Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/185

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couleur changeante comme un flot dont la source est profonde ; l’autre, des traits en désordre, d’expression spirituelle sur un teint mat de créole. Le nord et le midi du père et de la mère, deux tempéraments très divers qui s’étaient unis sans se fondre, perpétuant chacun sa race. Et cela malgré la vie commune, l’éducation pareille dans un grand pensionnat où Hortense reprenait, sous les mêmes maîtres, à quelques années de distance, la tradition scolaire qui avait fait de sa sœur une femme sérieuse, attentive, tout à la minute présente, s’absorbant dans ses moindres actes, et la laissait, elle, tourmentée, chimérique, l’esprit inquiet, toujours en rumeur. Quelquefois, la voyant si agitée, Rosalie s’écriait :

— Je suis bien heureuse, moi… Je n’ai pas d’imagination.

— Moi, je n’ai que ça ! disait Hortense ; et elle lui rappelait que, au cours de M. Baudouy chargé de leur apprendre le style et le développement de la pensée, ce qu’il appelait pompeusement « sa classe d’imagination », Rosalie n’avait aucun succès, exprimant toutes choses en quelques mots concis, tandis que, avec gros comme ça d’idée, elle noircissait des volumes.

« C’est le seul prix que j’aie jamais eu, le prix d’imagination. »

Elles étaient, malgré tout, tendrement unies, d’une de ces affections de grande à petite sœur, où il entre du filial et du maternel. Rosalie l’emmenait partout avec elle, au bal, chez ses amies, dans ces courses de magasins qui affinent le goût des