Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/190

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C’était, sur un air grave comme du plain-chant, une ancienne chanson populaire de Provence que Numa avait apprise à sa belle-sœur et qu’il s’amusait à lui entendre chanter avec son accent parisien qui, glissant sur les articulations méridionales, faisait penser à de l’italien prononcé par une Anglaise.

— Où as-tu passé ta matinée, morbleu, Marion ?
— À la fontaine chercher de l’eau, mon Dieu, mon ami.
— Quel est celui qui te parlait, morbleu, Marion ?
— C’est une de mes camarades, mon Dieu, mon ami.


— Les femmes ne portent pas les brayes, morbleu, Marion.
— C’était sa robe entortillée, mon Dieu, mon ami.
— Les femmes ne portent pas l’épée, morbleu, Marion.
— C’est sa quenouille qui pendait, mon Dieu, mon ami.


— Les femmes ne portent pas moustache, morbleu, Marion.
— C’étaient des mûres qu’elle mangeait, mon Dieu, mon ami.
— Le mois de mai ne porte pas de mûres, morbleu, Marion.
— C’était une branche de l’automne, mon Dieu, mon ami.


— Va m’en chercher une assiettée, morbleu, Marion.
— Les petits oiseaux les ont toutes mangées, mon Dieu, mon ami.
— Marion !… je te couperai la tête, morbleu, Marion…
— Et puis que ferez-vous du reste, mon Dieu, mon ami ?


— Je le jetterai par la fenêtre, morbleu, Marion,
Les chiens, les chats en feront fête…

Elle s’interrompit pour lancer avec le geste et l’intonation de Numa, quand il se montait : « Ça, voyez-vous, mes infants… C’est bo comme du Shakspeare !…

— Oui, un tableau de mœurs, fit Rosalie en s’approchant… Le mari grossier, brutal, la femme féline et menteuse… un vrai ménage du Midi.

— Oh ! ma fille… dit Mme Le Quesnoy sur un ton de doux reproche, le ton des anciennes querelles passées en habitude. Le tabouret de piano