Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/210

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comme dit notre garçon de table. Et voilà mon estomac !

C’est égal, ma chérie, comme c’est heureux que ni toi ni moi n’ayons pris le mal de ce pauvre frère que je n’ai guère connu et dont je retrouve ici sur d’autres visages les traits tirés, l’expression découragée qu’il a sur son portrait dans la chambre de nos parents ! Et quel original que ce médecin qui l’a soigné jadis, ce fameux Bouchereau ! L’autre jour, maman a voulu me présenter à lui, et, pour obtenir une consultation, nous avons rôdé dans le parc autour de ce grand vieux, à la physionomie brutale et dure ; mais il était très entouré par les médecins d’Arvillard, l’écoutant avec des humilités d’écolier. Alors nous l’avons attendu à la sortie de l’inhalation. Peine perdue. Notre homme s’est mis à marcher d’un pas, comme s’il voulait nous échapper. Avec maman, tu sais, on ne va guère vite, et nous l’avons encore manqué cette fois. Enfin hier matin Fanny est allée demander de notre part à sa gouvernante, s’il pouvait nous recevoir. Il a fait répondre qu’il était aux eaux pour se soigner et non pour donner des consultations. En voilà un rustre ! C’est vrai que je n’ai jamais vu une pâleur pareille, de la cire. Père est un monsieur très coloré à côté de lui. Il ne vit que de lait, ne descend jamais à la salle à manger, encore moins au salon. Notre petit docteur frétillant, celui que j’appelle M. C’est ce qui faut, prétend qu’il a une maladie de cœur très dangereuse, et que ce sont les eaux d’Arvillard qui depuis trois ans le font durer.