Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/219

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huit heures à l’avance, pour donner l’éclat nécessaire à la cérémonie. La pierre avait attendu deux mois, elle attendrait bien encore le bon vouloir de l’illustre orateur.

En réalité, ce qui retenait Roumestan à Arvillard, ce n’était ni le besoin de repos, ni le loisir nécessaire à cet improvisateur merveilleux sur qui le temps et la réflexion faisaient l’effet de l’humidité sur le phosphore, mais la présence d’Alice Bachellery. Après cinq mois d’un flirtage passionné, Numa n’était pas plus avancé auprès de sa « petite » que le jour de leur premier rendez-vous. Il fréquentait la maison, savourait la bouillabaisse savante de madame Bachellery, les chansonnettes de l’ancien directeur des Folies-Bordelaises, reconnaissait ces menues faveurs par une foule de cadeaux, bouquets, envois de loges ministérielles, billets aux séances de l’Institut, de la Chambre, même les palmes d’officier d’Académie pour le chansonnier, tout cela sans avancer ses affaires. Ce n’était pourtant pas un de ces novices qui vont à la pêche à toute heure, sans avoir d’avance tâté l’eau et solidement appâté. Seulement il avait affaire à la plus subtile dorade, qui s’amusait de ses précautions, mordillait l’amorce, lui donnait parfois l’illusion de la prise, et s’échappait tout à coup d’une détente, lui laissant la bouche sèche de désir, le cœur fouetté des commotions de sa souple échine ondulée et tentante.

Rien de plus énervant que ce jeu. Il ne tenait qu’à Numa de le faire cesser, en donnant à la petite ce qu’elle demandait, sa nomination de première chanteuse à l’Opéra, un