Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/232

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« Il s’agit d’un artiste de grand talent, dit-elle en essayant d’affermir son timbre un peu voilé, il ne faut pas le rendre responsable de l’injustice du public, de l’ironie des journaux. »

Roumestan s’arrêta :

« Du talent… du talent… , oui… Je ne dis pas…, mais trop exotique… »

Et levant son ombrelle :

« Prenons garde au Midi, petite sœur, prenons garde au Midi… N’en abusons pas… Paris se fatiguerait… »

Il se remit en route à pas comptés, paisible et froid comme un habitant de Copenhague, et le silence ne fut troublé que par ce craquement du gravier sous les pas, qui semble en certaines circonstances l’écrasement, l’émiettement d’une colère ou d’un rêve. Quand on fut devant l’hôtel dont l’immense salle envoyait par ces dix fenêtres le tapage affamé des cuillers au fond des assiettes, Hortense s’arrêta, et, relevant la tête :

« Alors, ce pauvre garçon… vous allez l’abandonner ?

— Que faire ?… Il n’y a pas à lutter… Puisque Paris n’en veut pas. »

Elle eut un regard d’indignation presque méprisante :

« Oh ! c’est affreux, ce que vous dites… Eh bien, moi, je suis plus fière que vous, et fidèle à mes enthousiasmes. »

Elle franchit en deux sauts le perron de l’hôtel.

— Hortense, le second coup est sonné.

— Oui, oui, je sais… Je descends.