Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

étage des maisons hautes ; il se faisait dans sa méchante tête un choc autrement retentissant de pensées brutales, des heurts terribles de sa volonté contrariée. Et elle allait, ne sentant pas la fatigue, franchissait à pied, pour économiser l’omnibus, le long parcours du Marais à la rue de l’Abbaye-Montmartre.

Tout récemment, après une fougueuse pérégrination à travers des logis de toutes sortes, hôtels, appartements meublés, dont on les expulsait chaque fois à cause du tambourin, ils étaient venus s’échouer là, dans une maison neuve qu’occupait à des prix d’essuyeurs de plâtre une tourbe interlope de filles, de bohèmes, d’agents d’affaires, de ces familles d’aventuriers comme on en voit dans les ports de mer, traînant leur désœuvrement sur des balcons d’hôtel entre l’arrivée et le départ, guettant le flot dont ils attendent toujours quelque chose. Ici c’est la fortune qu’on épie. Le loyer était bien cher pour eux, maintenant surtout que le skating était en faillite, il fallait réclamer sur papier timbré les quelques représentations de Valmajour. Mais, dans cette baraque fraîche peinte, la porte ouverte à toute heure pour les différents métiers inavouables des locataires, avec les querelles, les engueulades, le tambourin ne dérangeait personne. C’était le tambourinaire qui se dérangeait. Les réclames, les affiches, le collant mi-parti et ses belles moustaches avaient fait des ravages parmi les dames du skating moins bégueules que cette pimbêche de là-bas. Il connaissait des acteurs des Batignolles, des chanteurs de café-concert, tout un