Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/281

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très vite « le portrait de mademoiselle Le Quesnoy.

— Enfin !… nous y voilà… Le portrait… Je savais bien, pardi ! » Elle ponctuait chaque mot d’un saut de chèvre. « Comme ça, vous croyez qu’on nous aura fait venir de l’autre bout de la France, qu’on nous aura tout promis à nous qui ne demandions rien, et puis qu’on nous mettra dehors comme des chiens qui auraient fait leurs malpropretés partout… Reprenez votre argent, monsieur… Pour sûr que nous ne partirons pas, vous pouvez-y dire, et qu’on ne le leur rendra pas, le portrait… C’est un papier, ça… Je le garde dans ma saquette… Il ne me quitte jamais et je le montrerai dans Paris, avec ce qu’il y a d’écrit dessus, pour que le monde sache que tous ces Roumestan c’est qu’une famille de menteurs… de menteurs… »

Elle écumait.

— Mademoiselle Le Quesnoy est bien malade, dit Méjean très grave.

— Avaï !…

— Elle va quitter Paris et probablement n’y rentrera pas… vivante.

Audiberte ne répondit rien, mais le rire muet de ses yeux, l’implacable dénégation de son front antique, bas et têtu, sous la petite coiffe en pointe, indiquaient assez la fermeté de son refus. Une tentation passait alors à Méjean de se jeter sur elle, d’arracher la saquette d’indienne de sa ceinture et de se sauver avec. Il se contint pourtant, essaya quelques prières inutiles, puis frémissant de rage lui aussi : « Vous vous en repentirez », dit-il, et il sortit, au grand regret du père Valmajour.